marion lenne

Députée de la XVème législature

Question à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la restitution des chantiers de la justice et plus particulièrement sur l’adaptation du réseau des juridictions

La carte judiciaire, dessinée depuis le 19ème siècle, fait régulièrement l’objet de réforme des gouvernements successifs. Alors que le rapport d’information de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Yves Détraigne qualifiait la réforme de 2007 d’« occasion manquée » et que la Cour des comptes préconisait de poursuivre la réforme dans son rapport public annuel 2015, les cinq grands chantiers de transformation de la justice ont démarré en octobre 2017. Deux axes stratégiques énoncés dans le rapport de M. Dominique Raimbourg et M. Philippe Houillon remis le 15 janvier 2018 ont une résonnance toute particulière pour le territoire de la Haute-Savoie : « conjuguer les besoins de proximité et de spécialisation » et « garantir un maillage de la justice ». Les zones montagneuses, à l’image de la région chablaisienne, sont des territoires enclavés, où les durées de transport peuvent être allongées selon les aléas météorologiques. Il est donc impératif que la démarche globale d’aménagement du territoire engagée par le Gouvernement conserve ces instances judiciaires à proximité géographique du justiciable afin d’éviter « un désert judiciaire » déjà vécu suite à la réforme de 2007. Même si toutes les instances judiciaires seront maintenues, il est nécessaire de pérenniser les compétences du Tribunal de Grande Instance de Thonon-les-Bains. En effet, la localisation de ce tribunal implique un contentieux particulier (droit transfrontalier, droit international) et lui confère un rôle international unique en représentant l’autorité judiciaire française de l’arc lémanique face aux tribunaux des cantons suisses (coopération pénale et civile quotidienne avec la Suisse). De plus, le TGI de Thonon-les-Bains traite le plus grand nombre d’affaires pénales de la Haute-Savoie, lui donnant toute sa légitimité pour renforcer ses compétences par la création, notamment, d’un pôle pénal de l’instruction. Alors que la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle défend une justice plus accessible, efficace et simple et dans la perspective du futur projet de loi présenté au printemps prochain, elle lui demande quelles sont les intentions du Gouvernement concernant le principe d’un tribunal judiciaire unique par département, et plus particulièrement, pour le département de la Haute-Savoie où ce principe est inadapté pour maintenir un maillage territorial satisfaisant pour le justiciable.

Réponse

Le rapport ayant pour objet le « renforcement de l’efficacité de l’organisation judiciaire et adaptation du fonctionnement des juridictions » remis à Madame la Garde des Sceaux, Ministre de la justice, contenait plusieurs pistes en vue d’arriver à cet objectif, dont une était d’instituer des cours d’appel de région et des cours d’appel territoriales. Cette proposition n’a cependant pas été retenue par le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice au regard de ses incidences considérables. L’option retenue dans le projet de loi présenté au Conseil des Ministres du 20 avril dernier maintient toutes les cours d’appel existantes dans la plénitude de leurs compétences. Il prévoit cependant d’expérimenter sur un ressort pouvant s’étendre à plusieurs cours d’appel au sein d’une même région administrative une nouvelle forme d’organisation. Il s’agirait ainsi de confier des pouvoirs d’animation et de coordination aux chefs de cour du ressort élargi, désignés par décret, et de permettre la spécialisation de certaines de ces cours dans un ou plusieurs contentieux civils en vue d’harmoniser la réponse judiciaire. Cette expérimentation, si elle est votée, serait menée dans deux régions pour une durée de trois ans à compter de la publication de la loi. Cela permettra d’évaluer l’efficacité de ce dispositif. L’expérimentation de cours d’appel « de région » vise à limiter le nombre d’interlocuteurs judiciaires dans la conduite des politiques publiques impliquant l’intervention de l’institution judiciaire. Le ministère de la justice souhaite pouvoir mesurer si ce dispositif répond aux besoins exprimés par les services et administrations de l’État qui ont adapté leur organisation à la réforme territoriale des régions administratives. Les territoires, à partir des outils qui seront mis à leur disposition, pourront proposer une organisation plus efficace s’ils l’estiment nécessaire. Ainsi, en spécialisant les cours d’appel sur certains contentieux, seront assurées une meilleure harmonisation des jurisprudences et une plus grande rapidité du traitement des contentieux au bénéfice des justiciables. Aucune décision n’a été arrêtée à ce jour quant au choix des cours d’appel qui seraient retenues pour mettre en œuvre l’expérimentation prévue à l’article 54 du projet de loi.

REPONSE

La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et sa mise en œuvre permettront de renforcer l’accessibilité et la qualité de la justice pour les justiciables et d’améliorer le quotidien des professionnels du droit et de la justice. Ladite loi repense l’organisation des juridictions pour la rendre plus lisible pour les justiciables et plus efficace dans le traitement des contentieux. La fusion du tribunal d’instance et du tribunal de grande instance, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2020, simplifiera l’organisation de la première instance pour le justiciable qui ne connaîtra plus qu’une seule juridiction. A titre liminaire, il convient de rappeler que cette adaptation de l’organisation judiciaire ne se traduira par la fermeture d’aucun lieu de justice et le maillage territorial actuel sera conservé. Les tribunaux de grande instance de Thonon-les-Bains, Annecy et Bonneville seront maintenus dans leurs fonctions, sous la dénomination nouvelle de tribunal judiciaire, comme tous les TGI de France et conformément à l’article 53 de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Tous les sites sont maintenus pour assurer une justice de proximité pour les contentieux du quotidien. Aussi, le tribunal d’instance d’Annemasse deviendra-t-il un tribunal de proximité tandis que les tribunaux d’instance d’Annecy, Bonneville et Thonon-les-Bains fusionneront au sein des tribunaux judiciaire d’Annecy, Bonneville et Thonon-les-Bains.  Pour optimiser le traitement des contentieux et s’adapter au mieux à la situation de chaque ressort, les chefs de cour pourront, dans les villes où il n’existe actuellement qu’un tribunal d’instance, lui confier d’autres contentieux. Plusieurs mécanismes différents ont été inscrits dans la loi permettant d’adapter l’offre de justice aux territoires. Le dispositif de spécialisation du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit ainsi que lorsqu’il existe plusieurs tribunaux judiciaires dans un même département, l’un d’entre eux peut être spécialement désigné par décret pour connaître seul, dans l’ensemble de ce département, de certaines matières civiles et de certains délits ou contraventions. Ce mécanisme est optionnel et encadré par la fixation d’une liste de matières civiles et pénales « spécialisables » définies par décret en Conseil d’Etat en tenant compte du volume des affaires concernées et de la technicité de ces matières. Le décret n° 2019-912 du 30 août 2019 modifiant le code de l’organisation judiciaire et pris en application des articles 95 et 103 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a été publié au Journal Officiel du 1er septembre 2019. Outre le fait que les spécificités des territoires seront respectées grâce aux concertations effectuées au niveau local, cette possibilité de spécialisation ne se traduit pas par une dévitalisation des juridictions et le principe de compensation sera appliqué entre les tribunaux judiciaires d’un même département, chacun d’entre eux pouvant ainsi développer des pôles de compétence renforçant son attractivité. La spécialisation départementale des TGI vise uniquement des contentieux techniques et de faible volumétrie. Elle doit permettre aux magistrats de se spécialiser dans ces matières très pointues, où seul un nombre suffisant d’affaires permet de traiter les dossiers dans de bonnes conditions. Cette volonté de respecter les territoires s’incarne également dans la méthode que le législateur a choisi d’appliquer à la mise en œuvre des spécialisations comme des ajouts de compétences aux chambres de proximité. Loin de résulter de décisions prises par l’administration centrale, les décrets de spécialisation résulteront de propositions faites par les chefs de cour à la Garde des Sceaux. Quant aux ajouts de compétence, ce seront ces mêmes chefs de cour qui, cette fois, en décideront directement. L’ensemble de cette nouvelle organisation territoriale se matérialisera sous forme de projets locaux qui font actuellement l’objet d’une large concertation à laquelle les élus sont associés. Le territoire de Haute-Savoie ainsi que les auxiliaires de justice du département ne verront pas leurs conditions d’exercice dégradées par l’effet de cette réforme, qui vise avant tout à renforcer, pour le justiciable, la qualité de la justice rendue sans rien sacrifier à la proximité, telle qu’incarnée par l’ensemble des juridictions

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